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Depuis quelque temps, certains de mes analysants me disent se confier à Chatgpt quand la tension émotionnelle est trop forte et que la prochaine séance semble loin. Certains me disent » ça m’a calmée, j’ai pu me déverser et avoir quelques conseils, mais il va toujours dans le sens de ce que je veux entendre… » ou,  » j’ai vu un peu plus clair quant à la conduite à adopter »,  » j’ai pu analyser un peu mon rêve », etc.

Une séance en un clic ?

Parler à une machine n’est pas rencontrer l’Autre

En effet, ChatGPT a cette capacité à être 100% disponible, à être un espace de parole où le stress, les contrariétés et la nécessité d’avoir une réponse dans l’urgence devient possible, voire instantanée…..et cette instantanéité est aussi le problème, car elle relève d’un phénomène sociétal profond lié à la technologie et la culture contemporaine dans lesquelles s’inscrivent cette dictature du tout tout de suite et de l’impossibilité de contenir la frustration

Les technologies exploitent ce modèle, notifications, réponses instantanées, streaming, applications. On s’habitue à l’immédiateté, le cerveau libère de la dopamine et la patience, le délai, l’attente sont de moins en moins tolérés. L’accès instantané a reconfiguré nos attentes, pourquoi attendre sa prochaine séance quand en un clic Chatgpt donne cet espace ? le problème n’est pas tant l’absence et l’attente de réponse, mais l’impossibilité à tolérer l’attente.

Néanmoins, dans les situations d’angoisse, de crise, l’intelligence artificielle permet de reformuler et de trouver cette présence numérique.

Pour autant, il renvoie les mots sans en saisir la portée inconsciente, la rencontre entre l’analysant et son psychanalyste reste fondamentale, car c’est bien de cette alliance thérapeutique et de ce qu’elle va mobiliser comme affects et transfert qui rend la subjectivité possible et permet la résonance entre les deux inconscients.

Chatgpt un inconscient ?

Pas de désir, pas de transfert, pas d’élaboration

Qui souhaiterait un thérapeute qui brosse dans le sens du poil et ne confronte jamais ? la psychanalyse n’est pas un échange d’informations, mais un travail d’intersubjectivité où l’analyste n’est pas qu’un miroir.

Freud, puis toutes les grandes figures de la psychanalyse ont insisté sur le fait que l’analyse repose sur la rencontre de deux inconscients : celui de l’analysant (celui qui parle) et celui de l’analyste (celui qui écoute).
L’analyste n’est pas simplement ce miroir, il est un sujet supposé savoir, une présence qui, par sa position, son silence et ses interventions, ses interprétations fait advenir du sens dans le discours de l’autre.
L’ IA aussi sophistiquée soit-elle, n’a pas d’inconscient :

  • Pas de désir,
  • Pas de transfert
  • Pas de refoulement
  • Pas de résistance
  • Pas de contre-transfert

Elle peut reconnaître des structures de langage mais elle ne peut pas désirer, ni être investie symboliquement par un sujet parlant. La cure psychanalytique repose aussi sur le transfert, c’est-à-dire la projection sur l’analyste de figures inconscientes du passé ( figures parentales).
C’est au cœur de ce transfert que quelque chose se déplace, dans les résistances aussi qu’elles suscitent que l’inconscient se déchiffre.

Un programme informatique ne peut ni résister ni désirer, il n’est donc pas le lieu de l’inconscient.

L’analyste, lui, incarne un réel, il écoute, il interprète, il marque une vraie altérité. En revanche, l’IA répond toujours, ne se tait pas « pour de vrai ».

Pour autant,  l’IA, peut être un outil d’accompagnement de réflexion mais elle ne remplacera jamais l’Autre. Elle peut aider à reformuler une pensée, soutenir une mise en mots, offrir un miroir langagier mais sans la dimension du réel du Sujet ni celle du désir de l’Autre.

L’ IA peut aider à penser sur soi mais pas à se dénouer de soi. C’est une différence fondamentale entre parler à une machine et parler à un autre être humain.

ChatGPT l’expression d’une résistance ?

Finalement, s’adresser à ChatGPT c’est rester dans une facilité et zone de confort, c’est parler sans risquer la confrontation à soi-même. L’écran ne juge pas, le psychanalyste non plus d’ailleurs, il renvoie une parole lissée, toujours compréhensive, qui donne l’illusion d’être écoutée et là est le piège, tout ce qui dérange est neutralisé, tout ce qui pourrait provoquer un déplacement psychique est absorbé par le confort d’une réponse immédiate et bienveillante.
Résister en analyse n’est pas simplement un refus et une peur du changement : c’est un vrai mécanisme de défense contre l’irruption de l’inconscient. Parler à ChatGPT est une nouvelle façon de résister tout en étant dans l’illusion d’un mieux-être. Pas de regard, pas de langage corporel, rien…

Ce faux dialogue préserve de la surprise, de la frustration, du silence, autant d’éléments pourtant essentiels à la mise en travail psychique. Juste une parole désubjectivée sans « en-je » transférentiel.

Cette absence constitue en fait le cœur du problème, là où le silence et l’interprétation de l’analyste invitent l’analysant à se questionner, chatgpt rassure et conforte. Tout ce qui dérange, tout ce qui pourrait provoquer un travail psychique, s’y dissout.

En thérapie, la résistance est un signe du travail de l’inconscient, un moment où quelque chose tente d’échapper. En parlant à une intelligence artificielle, le sujet évite cette tension, cette mise en jeu du transfert, cette possibilité de se rencontrer autrement.
C’est une parole qui circule, mais qui ne s’adresse à personne. Une parole sans écoute vivante. Et sans ce risque, il n’y a pas de transformation possible.

La fonction de l’argent en psychanalyse ?

Quand tout est gratuit, rien ne s’engage.

L’argent dans le travail analytique n’est pas un détail pratique, c’est un signifiant essentiel. Il soutient la place du désir, du manque, de la dette et fait exister la relation transférentielle.
L’IA en sortant du champ transférentielle n’offre pas ce champ symbolique qui permet à un sujet, l’analysant de s’y inscrire.

Dans la cure psychanalytique, le paiement n’est pas un simple échange marchand. Il ne s’agit pas de « rémunérer un service » ou « d’acheter une écoute », mais d’un acte symbolique qui inscrit la parole dans le réel du désir et du manque.

Payer, c’est marquer un engagement subjectif : c’est reconnaître que l’on investit quelque chose de soi dans le processus, que l’on s’y implique, que l’on y met une part de son désir.

Le prix de la séance, c’est le prix du travail psychique et pas celui du temps de l’analyste. Il rappelle qu’on ne vient pas « consommer » une réponse, mais traverser un processus qui a un coût psychique, temporel et symbolique.

Dans cette perspective, ChatGPT ne peut pas soutenir ce champ symbolique, parce qu’il n’y a ni Autre, ni désir, ni dette dans la relation à la machine.
Tout y est gratuit, immédiat, sans engagement : rien ne s’y inscrit du côté du manque.

Or, la psychanalyse s’appuie précisément sur ce manque, sur ce qui résiste à la satisfaction immédiate.

L’acte de payer fait exister la dimension du transfert — il soutient la place de l’analyste comme Autre à qui l’on adresse sa parole.
Avec ChatGPT, cette adresse s’efface : on parle à un code, non à un sujet supposé savoir.

On ne rencontre ni regard, ni silence, ni altérité réelle. Il n’y a donc pas de place pour la dette symbolique, ni pour la transformation du désir.

L’intelligence artificielle peut, dans certaines situations, offrir une présence temporaire, un espace de décharge ou d’élaboration immédiate. Mais elle reste un miroir sans chair, sans inconscient, sans désir. Parler à une machine, c’est parler dans le vide symbolique : rien ne s’y engage, rien ne s’y risque.

L’analyse, au contraire, se déploie dans le temps, dans l’attente, dans la rencontre avec l’analyste. Elle suppose un transfert, un engagement, une adresse à un autre sujet.

Payer sa séance, supporter le délai entre deux rendez-vous, se confronter à l’absence : tout cela participe du travail analytique, de ce qui permet qu’un sens advienne, qu’un déplacement psychique s’opère et puisse s’élaborer.

ChatGPT peut aider à formuler, à apaiser parfois. Mais il ne peut ni accueillir le transfert, ni offrir une altérité véritable et encore moins d’empathie.
L’écoute humaine, elle, ne se programme pas. Elle se risque, elle se vit, elle se rencontre.

Virginie Ferrara

Psychothérapeute à Paris, je vous reçois à mon cabinet rue Vignon, Paris 9ème, sur rendez-vous au 01 53 20 09 31